Au fur et à mesure que l’on grandit au sein de la coopérative on apprend auprès des familles.
Les gestes prennent une place de plus en plus prépondérante dans nos rituels car ce sont eux qui s’impriment dans les mémoires.
Les gestes avant la cérémonie peuvent permettre de cheminer : Graffer sur le cercueil sur le parking de la coopérative, capitonner le cercueil d’un drapeau breton. C’est une façon d’être avec lui ; pour lui.
Les gestes pendant la cérémonie, là où le “faire communauté” se vit :

  • Ecrire tous ensemble lors de la cérémonie les mots qui font sens pour lui, pour nous.
  • Croiser les mains sur cette urne qui va être déposée sur ce lit de pétales que toute la famille a déposé pétale après pétale.

C’est une façon de faire corps avant de commencer à cheminer autrement.

Quand les mots ne suffisent pas, chaque famille nous ouvre des façons de s’approprier du faire.
La coopérative devient alors un espace de transmission, là où ce qui a été fait est donné aux autres ; pour permettre aux familles d’agir encore plus librement. Celles qui viendront à franchir nos portes seront portées par celles qui les ont déjà franchies.
La communauté des Hommes prend alors tout son sens.
C’est ainsi que nous le vivons au sein de la Coopérative funéraire de Rennes.

IL Y A TOUJOURS UNE PREMIERE FOIS

C’est une famille qui nous a montré le chemin.

Lors de ce premier rendez-vous, il y avait cet homme qui venait car sa femme était décédée dans la nuit. Il était accompagné d’un copain, assis devant moi et puis des moments de silence. Sa petite fille était à l’école, elle ne savait pas encore.

Comment engager les choses et donner à comprendre à sa fille qu’elle ne verrait plus sa maman. Certes il y avait eu la maladie avant, mais il restait tellement à parcourir. Désormais ils allaient devoir commencer à cheminer à deux.

Nous prenions le temps d’aborder le sens d’une cérémonie. Je sentais bien que quelque chose ne venait pas. Laisser les mots venir n’est pas toujours simple. C’est alors qu’est survenue l’idée d’emmener le cercueil à la maison, à ce moment là tout s’est en quelque sorte éclairé pour cet homme. Le copain ébéniste allait venir capitonner (habiller le cercueil à l’intérieur) et allaient faire l’urne. Ils allaient construire un petit autel dans la pièce où allait être déposé le cercueil. Ils allaient créer un endroit pour leur permettre de se recueillir, entre ami.e.s. Ils allaient pouvoir avec sa fille dessiner, écrire des mots secrets sur la face du plateau que personne ne verrait une fois le cercueil fermé.

Tout était dit, tout était là. Qu’est ce qui l’empêchait légalement ? Rien.

Mais oui le cercueil n’est qu’une boîte en bois… certes obligatoire. On ne peut faire autrement que d’avoir un cercueil. Alors pourquoi ne pas l’emmener à la maison si cela est possible et le personnaliser, l’investir de nos gestes !

C’était il y a bientôt 2 ans et demi.

ET PUIS IL Y A LES AUTRES

Une fois le chemin ouvert, il nous a fallu au sein de la coopérative en comprendre les tenants et aboutissants pour mieux en transmettre les intentions. Ce n’est pas juste un brin de déco dont il est question, c’est tout autre chose.

Il nous a fallu pour cela observer les pratiques, car ce sont avant tout les familles qui nous ont permis de voir. C’est en observant leurs pratiques que nous est apparu toute l’étendue de ce temps, de ce moment, de ce qui allait devenir un rituel. Le propre d’un rituel comme le dit Dominique Picard c’est de proposer des formes codifiées, des modèles de conduite pour orienter les pratiques. Ils tendent à faciliter les communications à l’intérieur d’un groupe, à canaliser et réguler les pulsions et les émotions qui pourraient menacer les rapports interpersonnels.

Chaque famille s’approprie ce geste et lui en donne un sens.

L’objet cercueil par ce geste de peindre, d’écrire s’inscrit progressivement dans une intimité collective et personnelle :

L’appropriation de la surface extérieur du cercueil se fait collectivement. L’intérieur du plateau est souvent réservé aux baisers déposés, aux mots secrets, personnels dont seul.e le défunt ou la défunte aura la saveur.

Cet objet porte alors une autre identité, celle de celui ou celle que l’on va déposer ensuite. Il porte une intention aux yeux de toutes et tous; de celles et ceux qui prendront part à la cérémonie.