Quel pourrait être le lien entre un caillou, un chocolat, un brin de laine, un tissu imbibé de parfum, un bout de partition de musique ou encore un livre lors d’une cérémonie ?
Ils sont une représentation imaginaire du ou de la défunte.
Ils ont été donnés à la porte d’entrée lors de cérémonies funéraires puis déposés à un autre moment lors de ces mêmes cérémonies.
Ces objets portent en eux plusieurs dimensions :
Celle de la proximité, lorsque cet objet possède une représentation imaginaire de celui ou celle qu’il représente… (ce chocolat qu’il ou elle a toujours aimé).
Celle d’une présence car parfois ces objets ont fait parties intégrantes du corps (ce parfum qu’il ou elle a toujours porté).
Celle de la séparation, lorsqu’il faudra se détacher de… (le poids de ce caillou, ce brin de laine qui viendra nouer, qu’il faudra couper).
Entrer en cérémonie avec un objet c’est créer un lien qui nous rend acteur/actrice. Nous savons qu’il va advenir quelque chose de cet objet qui vient d’être déposé dans nos mains.
L’OBJET VECTEUR D’HISTOIRE
Il y a comme une invitation quand on dépose un objet dans le creux de la main. Cet acte n’est pas anodin, à la fois pour celui ou celle qui donne mais aussi celui ou celle qui reçoit. Il installe un lien, il crée de façon physique une communauté qui sera identifié par cet objet. Cet objet qui est à l’image de celui ou celle qui est au cœur de la cérémonie.
Quand une famille se saisit de cette intention, elle sait que l’objet sera à un moment déposé. Car il n’y a pas d’objet dont on ne se dessaisit pas un jour. Pour cela il faut entamer un chemin.
C’est alors qu’apparaissent les histoires. Car, dès lors, il nous faudra au cours de la cérémonie faire comprendre ce à quoi va servir l’objet.
La raison d’être de ce chocolat, de cette pierre n’est peut-être pas connue par toutes celles et ceux qui sont là présents dans la salle. Il va falloir transmettre cette raison d’être. Il va falloir tisser avec les mots. Là où peut-être il n’était pas facile d’en trouver.
Commencer à raconter des histoires c’est commencer à construire une représentation imaginaire du ou de la défunte. S’engager autour des mots, c’est commencer à cheminer vers l’idée que l’autre sera présent autrement. Par exemple, à travers des souvenirs qui peuvent être incarnés par des objets.
Ce chocolat, c’est l’histoire d’un enfant qui était né avec une maladie incurable. Sa vie s’est articulée autour de petits moments avec ses parents, de petites escapades dans la ville où ils vivaient. Lors de ces escapades, il y avait là une boutique de chocolat. A chaque fois qu’ils sortaient tous les trois, ils allaient s’acheter des chocolats. Pas n’importe lesquels, il y en avait un qu’il préférait parmi tous les autres. Ce sont ces chocolats que les parents ont voulu offrir lors de cette cérémonie. Nous les avons mangé pendant la cérémonie. Et oui une cérémonie funéraire peut avoir un goût sucré. En tant que célébrant je m’en rappelle encore. Je suis sûr que les autres aussi.
Ce caillou, c’est l’histoire d’une famille qui avait l’habitude de marcher, en montagne. Le défunt affectionnait tout particulièrement un sommet. Je savais qu’il y avait la volonté de disperser les cendres sur ce sommet en particulier. Marcher ensemble pour aller disperser allait être un moment partagé avec des amis. C’est alors que l’image du cairn m’est apparu. J’y voyais là l’occasion d’un acte collectif au moment de la cérémonie. Au-delà de cela, le cairn portait une valeur symbolique forte. Il est un repère pour celles et ceux qui viendraient à se perdre dans la montagne. Comme on est perdu quand quelqu’un vient à décéder. C’est ainsi que je leur ai proposé l’idée du caillou à l’entrée.
L’OBJET RITUEL
Ce chocolat mangé pendant que l’on entend le morceau que préférait cet enfant, ce caillou que l’on dépose auprès du cercueil au moment du geste d’au revoir, l’objet donne un sens à nos gestes. Il s’ancre en nous autrement que les mots. Il crée un communauté autour du défunt, il s’inscrit dans un moment partagé, collectif, celui du faire.
On construit ensemble. On se réapproprie ensemble.
Le brin de laine distribué à l’entrée a permis à chacun et chacune de nouer un souvenir qu’il partageait avec la défunte, souvenirs qu’ils sont venus nouer lors du geste d’au revoir sur le cercueil.
En donnant un objet à l’entrée se dessine une façon de traverser ce temps de cérémonie. En venant le déposer auprès du ou de la défunte pendant ou à la fin de la cérémonie, nous prenons conscience de ce passage entre ce qui a été et ce qui sera. Le fait de déposer, c’est en quelque sorte se séparer.
Comme le dit Dominique Desjeux, pour se séparer d’un objet il faut savoir créer une distance qui permette la séparation. En venant déposer les objets auprès du défunt, on crée un acte symbolique qui rend compte du chemin qu’il reste à parcourir lorsque l’on quittera cette salle, là où nous actons de la séparation.
C’est une façon de ritualiser ce moment.
L’OBJET EMPORTÉ
Et puis il y a le livre qui comme le brin de laine sont venus créer de nouveaux espaces.
Cela commence toujours un peu comme cela à la coopérative. Un jour une famille a passé notre porte, nous avons évoqué la cérémonie. Au cours de nos échanges est apparu le fait que le défunt avait une très grande bibliothèque et qu’ils ne savaient que faire de ses livres suite au décès.
Comment s’en séparer ? Je leur ai proposé d’amener ses livres lors de la cérémonie et de les disposer tout autour du cercueil. Ses livres, c’était lui. Je leur ai suggéré que chacun et chacune emporte un livre au moment de venir le saluer. Je savais que cela allait être un peu la pagaille mais il y avait là quelque chose qui semblait avoir du sens. Parcourir une bibliothèque c’est parcourir une partie de nous-même. Le jour de la cérémonie ils sont tous repartis avec leur livre. Ils formaient une sorte de communauté du savoir, celle qu’a transmise le défunt.
Lors de la cérémonie du brin de laine autre chose est apparu le jour de la cérémonie. Ce n’était pas prévu. Les deux enfants de la défunte avaient amené bien trop de laine. Ils restaient des brins. Nous avions pris le temps d’emmener la défunte dans la petite pièce de lumière qui fait office de porte symbolique vers la crémation. La porte venait de se fermer et toute la communauté était encore dans la salle. Ils semblaient ne pas vouloir quitter la salle.
C’est alors que je leur ai suggéré de prendre un brin de laine et de le nouer à leur poignet. Il y avait là pour moi un signe ostentatoire qui faisait référence à la défunte. Un signe qu’ils allaient pouvoir conserver quelques jours, un signe dont ils allaient pouvoir se défaire à un moment donné. Ils se sont tous saisi de l’idée. Cela a été un moment d’une grande douceur, c’était presque fraternel. Il est, en effet, plus facile de nouer un brin de laine sur le poignet d’une autre personne que le sien.
Il y a l’objet que l’on dépose mais aussi l’objet que l’on emporte. Ils ne portent pas le même sens mais ils ont tous un poids. Celui de l’imaginaire qu’on lui donne. Au sein d’une cérémonie les objets peuvent avoir diverses fonctions. Ils sont des vecteurs d’émotion, je pourrai dire des catalyseurs qui lors d’une cérémonie permettent de construire de nombreux rituels.