Lors de notre dernier café mortel, nous étions là assis autour d’un verre et d’une plancha. Emmanuel Bouju allait animer ce 14 ème café mortel autour d’un thème fragile mais si contemporain L’EUTHANASIE. Pour cela nous avions invité Cyril Journet, délégué de l’association pour le droit de mourir dans la dignité.
Lors de ces échanges, il y eu plusieurs histoires qui ont été partagées. Je vous en livre deux. Tous les noms utilisés sont fictifs, mais leurs histoires sont bien réelles.
La première est celle d’un couple. Jeanne, vit avec une maladie incurable et très douloureuse. Elle est soignée dans un centre de soins palliatifs. Son désir est de pouvoir partir le plus vite car le chemin qui lui reste à traverser ne lui convient pas, lui fait mal.
Ils prennent la décision de partir en Belgique. Là-bas ils seront accueillis dans un centre médical qui va permettre à Jeanne de partir comme elle le voudrait. Cela ne leur a pas pris 3 mois, 6 mois. Juste 3 semaines. Jeanne est partie en paix rejoindre Frida Kahlo comme elle le disait.
La crémation a eu lieu là bas en Belgique. Son mari est revenu avec l’urne chez lui. Il avait filmé le jour du départ de Jeanne, il a partagé ses images avec ses proches. Il a fait cérémonie autrement avec le reste de la famille, par procuration.
La deuxième histoire est celle de Carole. Carole n’était pas présente au café mortel. Elle ne le pouvait pas, elle a la maladie de Parkinson qui l’invalide fortement. J’ai partagé cette histoire car elle me semblait faire écho à l’histoire de Jeanne.
Carole vit dans une maison de campagne où elle a bâti un univers magique, un univers qui résonne avec sa philosophie de vie. C’est là qu’elle veut mourir. Oui mais dans combien de temps et comment ?
Elle a déjà tout préparé, elle est sereine face à la mort tout comme Jeanne l’était quand elle a demandé à son mari de l’emmener en Belgique pour partir.
Carole a aménagé un espace de lumière dans son atelier en contrebas de sa maison là où désormais elle dort, observe le soleil depuis sa fenêtre. Oui mais pendant combien de temps et comment ?
Elle sait que son état se dégrade. Elle ne supporte pas l’idée de perdre sa dignité, sa poésie intérieure.
Elle a envisagé de partir en Suisse. Oui mais si elle part en Suisse elle ne pourra pas mourir chez elle, dans sa maison, autour de ses fleurs. Elle a envisagé la Suisse car elle ne veut pas voir son corps défaillir. Oui mais, il y a cette cérémonie qu’elle a envisagée avec tous ces ami.e.s, sa famille. Une cérémonie qui résonne avec ce qu’elle a toujours été. Alors que faire ?
Partir comme Jeanne ?
Pendant combien de temps devrons nous être les déracinés de la mort ?
Allons nous former une nouvelle vague migratoire dont les passeurs serait comme en Suisse ces centres d’accompagnement qui moyennant un petit billet de 10.000 euros vous accueilleraient sur leur liste d’attente. Et oui, nous ne sommes pas les seul.e.s à vouloir partir d’autres pays vivent la même situation.
Rester chez soit pour mourir dans la dignité est aujourd’hui en France un enjeu de poids. La génération des Babyboomer arrive sur “le marché”. C’est une façon très crue de rendre palpable cet enjeu du temps qui passe, de notre finitude.
Combien de migrants va t-il falloir voir traverser la frontière afin de garder leur dignité ? Car ils sont nombreux à devoir laisser leur famille, leur proche pour aller mourir ailleurs. Combien comme Carole vont souffrir de ce dilemme : Mourir avec ses racines mais comment (sa famille, ses ami.e.s, son espace de vie) ou mourir déracinée mais avec qui ?
Il y a comme ça des cafés mortels qui interrogent sur notre devenir, sur nos choix de société. Ils nous donnent raison de continuer à échanger, partager autour d’un verre. Car c’est peut-être là que nous pouvons prendre conscience que parler de la mort c’est un peu partager de notre envie de poésie. Celle de cette lumière qui filtre derrière le rideau de cette maison là où Carole attend.
Grégory Nieuviarts
Célébrant de la coopérative funéraire de Rennes