
Voici un article qui présente Magali Molinié.
Cet article provient du site internet http://accompagnerlavie.net

Magali Molinié est psychologue clinicienne et auteure de l’ouvrage « Soigner les morts pour guérir les vivants » où elle renouvelle les approches traditionnelles du deuil à partir d’une recherche sur « Les relations qu’entretiennent les vivants avec leurs défunts ».
Merci de vous présenter en quelques lignes
Je suis psychologue clinicienne et j’enseigne la psychologie à l’Université Paris 8 Saint-Denis, située dans la banlieue nord de Paris. Mes recherches portent sur « Les relations qu’entretiennent les vivants avec leurs défunts ». J’essaie de comprendre celles-ci dans toute leur diversité, sans m’en tenir aux situations de deuil au sens strict. Toutes les personnes qui ont bien voulu m’apporter leur témoignage m’ont aidée à construire ma réflexion. J’espère avoir pu les aider en retour à renégocier leur relation avec une personne disparue, lorsqu’elles en éprouvaient le besoin.
Pourquoi vous intéressez-vous aux relations des vivants avec leurs morts ?
Ce sont des relations que beaucoup d’entre nous connaissent, mais qui, passé le temps du deuil, restent généralement enfouies dans notre « for intérieur », sur lesquelles nous n’osons pas échanger avec nos proches, de peur souvent de les ennuyer ou de passer pour fou. C’est donc une expérience très intime et singulière qui nous semble n’appartenir qu’à nous, mais c’est aussi une expérience que nous avons en commun avec d’autres, quoique nous n’en disions rien. D’une certaine manière, ce que nous vivons comme le plus intime est aussi le plus collectif et dans une large mesure, ce collectif façonne nos vécus intimes. J’avais envie d’explorer cette situation, avec l’intuition de départ que les défunts sont des êtres qui restent très importants dans notre société, mais qu’elle ne sait pas comment penser cette situation et en faire quelque chose.
Quelle a été votre démarche pour approcher les uns et les autres ?
Ce n’est qu’à partir de ce que me racontaient des personnes qui étaient en lien avec eux, que j’ai pu « approcher » selon votre expression, les défunts. Très simplement, en disant autour de moi : « je m’intéresse aux relations qu’entretiennent les vivants avec leurs défunts, y a-t-il d’autres personnes intéressées par cette question avec lesquelles je pourrais discuter ? » Et des étudiants, des professionnels que je côtoyais ou bien des amis d’amis se sont manifestés pour me dire : « D’accord, moi ça m’intéresse parce que je voudrais un peu mieux comprendre ce qui se passe avec mon père (ou ma mère, ou mon frère) qui est décédé il y a 10 ans, ou 20 ans, ou avant ma propre naissance et qui continue à m’envahir ».
Sur la base des histoires qu’ils m’avaient confiées, de nos échanges, et avec leur accord bien sûr, j’ai essayé de rendre compte de la manière dont ils construisaient leur relation avec la personne disparue, en s’appuyant sur des pensées, des conversations avec des proches, leurs rêves, des actes privés ou publics comme des cérémonies… La manière en fait dont ils essayaient d’en prendre soin ou de s’en éloigner. J’ai aussi fait un stage aux Pompes funèbres et assisté à quelques séances de voyance d’une médium spirite. Mais je voulais éviter de tomber dans le sensationnalisme et je me suis centrée sur les relations ordinaires que nous entretenons avec les défunts.
Dans votre ouvrage « Soigner les morts pour guérir les vivants »* vous avez soutenu que les défunts sont des êtres sociaux. Comment définissez-vous ces êtres sociaux ?
Prenons un exemple. Un homme de 50-60 ans meurt. Il a été l’amant, l’époux d’une femme, mais aussi le père d’un ou plusieurs enfants. Il était un fils aussi et peut-être ses parents sont-ils encore vivants ou bien des frères, des sœurs. Si l’on va au-delà de son cercle familial, il était sans doute apprécié dans son milieu professionnel, il jouait peut-être un rôle au sein d’une association, dans son quartier, sa commune…
Après son décès, sa veuve va devoir organiser des obsèques où l’ensemble des réseaux dans lesquels était inclus son mari vont se retrouver pour lui rendre un dernier hommage. Elle devra également se mettre en relation avec de nombreuses instances – mairie, banque, assurance, pompes funèbres, cimetière, notaire…
Même si elle-même vit plutôt sa relation avec son défunt mari sous l’angle de la douleur intime, toutes ces instances participent à la transformation de son mari en défunt : organisation de l’adieu par les obsèques, traitement de la dépouille par l’inhumation ou la crémation, inscription dans les registres d’un cimetière (ou d’une mairie dans le cas de dispersion des cendres dans la nature), changement de statut juridique (le mort n’est plus tout à fait une personne, sans pour autant devenir un objet), organisation de la succession…
Toutes ces étapes participent de la transformation du défunt en être social. Par la suite, il y aura encore une série d’actes, plus ou moins privés ou collectifs, plus ou moins cérémoniels, poursuivant cette transformation : distribuer son portefeuille, sa montre, à ses enfants ; regarder en famille un film souvenir ; organiser un pèlerinage vers un lieu qu’il aimait, ou un pot du souvenir ; faire dire une messe à sa mémoire… Ces initiatives nous paraissent si « naturelles », si « privées » que nous n’en percevons pas la dimension sociale, ni que cette « sociabilité » inclut le défunt lui-même.